La responsabilité des entreprises de télécommunication dans la violation des droits fondamentaux, par les policiers congolais, le 31 décembre 2017, doit être analysé au regard de leur concours substantiel à l’interruption de l’accès à l’Internet. L’Institut de Recherche en Droits Humains qui relève cet aspect indique que Vodacom, AIrtel, Orange et Africell devraient savoir qu’elles participent régulièrement à une politique consistant à réprimer des civils qui manifestent contre le système politique en place.
Ci-dessous, l’intégralité de la déclaration de l’IRDH :
RDC : La responsabilité des Sociétés de Télécommunication, face à la violation des droits humains du 31/12/2017.
1. INTRODUCTION
Les sociétés de télécommunications et fournisseurs d’accès à l’Internet, notamment, Vodacom, Orange, Airtel, Africel et Tigo ont coupé l’accès à l’Internet à la population de la République Démocratique du Congo (RDC) qui protestait, le 31 décembre 2017, contre le Président Kabila Joseph dont le mandat constitutionnel a déjà expiré depuis décembre 2016. L’action des entreprises a eu pour conséquence que les manifestants ne pouvaient pas communiquer, documenter ni informer instantanément l’opinion nationale et internationale sur ce qui se passait réellement sur terrain.
Il revient, après rétablissement de l’Internet, que des policiers avaient tué, en faisant usage disproportionnel et abusif d’armes à feu. D’après la Police Nationale Congolaise (PNC), elle-même, le bilan serait de (03) trois morts. Cependant, selon la Mission de l’ONU en RDC (MONUSCO), il y aurait eu (08) huit personnes tuées, des dizaines de blessés et des centaines d’arrestations.
Il est évident que le comportement de la PNC, du 31 décembre 2017, a porté atteinte aux droits de l’Homme, notamment l’atteinte au droit à la vie et l’intégrité physique (3 ou 11 victimes). Par ailleurs, les policiers ont aussi violé la Constitution de la République (articles 26 et 183) ; la Loi organique numéro 11/013 du 11 août 2011 portant organisation et fonctionnement de la PNC (articles 8 et 9) ; la circulaire du Ministère de l’Intérieur numéro 002/2006 du 29 juin 2006 conformant le décret numéro 196 du 29 janvier 1999 portant réglementation des manifestations et réunions publiques (articles 7 et 8).
Devant cet état des choses clairement établi, quelle est la part de responsabilité des entreprises de télécommunication qui, connaissant la situation politique délétère du pays, avaient coupé le moyen de communication et d’information instantanées des masses ? Pourquoi avoir coupé l’Internet ? Au fait, à quoi sert l’Internet en cas de manifestations publiques ?
- A quoi sert l’internet pendant une manifestation publique ?
Au cours des manifestations publiques, les plateformes des medias sociaux font circuler des éléments photographiques, des enregistrements vidéo et audio qui crédibilisent leurs informations et la communication. Au besoin, des tels éléments éclairent les autorités administratives et judiciaires. En effet, les congolais ont développé des centaines des réseaux sociaux de communication et de l’information, notamment sur Facebook, WhatsApp, Instagram, Tweeter, Google+, Baidu Tieba, Skype, Viber, Pinterest, LinkedIn, Tagged, Badoo, My Space, Youtube, Vimeo, Buzznet, Meetup, Snapfish, imo et des SMS.
Bref, l’Internet sert notamment à :
- Coordonner une manifestation publique.
- Communiquer entre manifestants et dénoncer des intrus.
- Communiquer avec des autorités administratives et de la police.
- Communiquer avec des observateurs des ONG, ambulanciers et assistants humanitaires.
- Informer le public des moindres détails de la manifestation.
- Informer la presse nationale et internationale.
- Collecter des preuves de mauvais comportement contre des policiers sur terrain.
- Documenter des détails des violations des droits humains.
Ces activités de collecte et de partage d’information se fondent sur l’article 19 de la DUDH qui garantit à tout individu la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. Ce droit est renfermé dans l’article 24 de la Constitution de la RDC qui stipule que
« Toute personne a droit à l’information. La liberté de la presse, la liberté d’information et d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication sont garanties sous réserve du respect de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits d’autrui ».
Eu égard à cette importance des droits fondamentaux pour la démocratie et l’Etat de droit, l’ONU, par sa résolution A/HRC/32/L/20 du 27 juin 2016, affirme que les droits humains doivent être protégés sur Internet. Ainsi, l’accès à l’Internet est un droit fondamental au même titre que l’accès à l’eau potable et à l’électricité. Par conséquent, couper l’Internet, empêcher ou restreindre l’accès à l’information diffusée en ligne, revient à couper l’électricité et l’eau. C’est une grave atteinte aux droits de l’Homme.
- Pourquoi avoir coupé l’Internet ?
Les entreprises de télécommunications respectent des instructions du Gouvernement, dans un contexte de crise politique où la population civile est régulièrement tuée par des policiers ou militaires. Comme sous le régime d’apartheid ou d’occupation coloniale, les entreprises sont souvent informées et amenées à choisir entre collaborer avec le système et gagner de l’argent ou prétendre à préserver leur réputation en ne collaborant pas.
Dans le cas d’espèce, par la lettre du 30 décembre 2017, du Ministre Emery OKUNDJI NDJOVU, numéro CAB/MIN/PTNTIC/EON/IA/Mmw/0734/2017, le Gouvernement de la RDC a instruit, une fois de plus, les entreprises de télécommunication établies dans le pays ont obéi de « suspendre le service de SMS et Internet, pour des raisons de sécurité d’Etat ». Cette instruction suivie de l’exécution sans faille n’est pas isolée. Elle est la énième du genre qui s’inscrit dans une politique gouvernementale dont celles du mardi 20 (pour jeudi 22) janvier 2015, du jeudi 15 décembre 2016 et du mardi 8 août 2017. Toutes visaient à empêcher l’accès à l’information, la communication et la documentation des faits réels se déroulant pendant des manifestations publiques qui se soldent par des morts des congolais.
Conclusion
En conclusion, la responsabilité des entreprises de télécommunication dans la violation des droits fondamentaux, par les policiers congolais, le 31 décembre 2017, doit être analysé au regard de leur concours substantiel à l’interruption de l’accès à l’Internet.
Il est ainsi établi que le Gouvernement de la RDC a la politique d’envoyer des policiers et militaires munis de fusils et autres armes à feu, contre des manifestants sans armes. De ces manifestations publiques, il résulte toujours des tueries dues à l’usage excessivement abusif des armes à feu, en violation des principes de la proportionnalité.
De même, les entreprises de télécommunications savent ou elles devraient savoir qu’elles participent régulièrement à une telle politique du Gouvernement consistant à réprimer des civils qui manifestent contre le système politique en place. Leur part consisterait à empêcher la communication, l’information et la documentation instantanées des faits constitutifs des graves violations des droits humains.
Les entreprises de télécommunications devraient repenser leur politique en RDC. Elles doivent choisir entre l’obéissance aveugle aux ordres qui débouchent sur des atteintes aux de l’Homme et leur réputation à travers le monde.
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