Il y a 48h, au cours d’un point de presse, le porte parole de la majorité présidentielle a abordé la question de l’éligibilité ou de l’inégibilite du sénateur Jean Pierre Bemba à la présidentielle courante. Pour André Alain Atundu, Jean pierre Bemba est inéligible tenant compte de l’article 10 de la loi électorale.
A cet effet , les réactions n’ont pas tardé. Si certains politiques du MLC renvoi André Alain Atundu à refaire les études de droit, maitre Chris Shematsi, avocat de profession, sans coloration politique fait plutôt une analyse scientifique et interprète cet article 10 de la loi électorale. Pour cet avocat de carrière, Jean pierre Bemba est éligible.
Ci-dessous , l’intégralité de la tribune
La flambée « d’arguments juridiques », depuis un moment, sur l’inéligibilité de Monsieur Jean Pierre Bemba a attiré notre modeste attention.
Il importe de préciser que notre attention est totalement détachée de toute motivation politique car mû exclusivement par l’intérêt pédagogique et technique que revêt ce dossier.
Tel est le sens de notre démarche en publiant cette libre tribune en tant que juriste ayant bonne conscience.
Ainsi, la présente analyse vise essentiellement à démontrer que, dans le contexte juridique actuel, la candidature de Monsieur Jean-Pierre Bemba à l’élection présidentielle demeure valide en dépit de son passé judiciaire.
Dès lors, elle va s’articuler autour de deux points principaux : le contexte factuel et l’examen juridique de la validité de la candidature de Monsieur Jean-Pierre Bemba.
1. Bref aperçu du contexte factuel
Parallèlement à la première affaire, le 11 novembre 2014 la Chambre préliminaire II a confirmé les charges d’atteintes à l’administration de la justice à l’encontre de Jean Pierre Bemba, Fidèle Babala et consorts.
Le 19 octobre 2016, la Chambre de première instance VII a déclaré les cinq accusés coupables de plusieurs atteintes à l’administration de la justice, sur la base des faux témoignages produits par des témoins de la défense dans une autre affaire, l’affaire principale.
Le 8 mars 2018, la Chambre d’appel de la CPI a rejeté les appels interjetés par les cinq accusés à l’encontre de leur condamnation.
A ce jour, cette condamnation pour subornation de témoin est donc définitive à l’encontre de Jean Pierre Bemba.
2. DE L’ELIGIBILITE DE Monsieur Jean Pierre BEMBA
Le passé judiciaire de Monsieur Jean-Pierre Bemba, ci-dessus évoqué, conduit une certaine opinion à contester la validité de sa candidature sur pied de l’article 10 de la loi électorale.
L’extrait du libellé de cette disposition légale se présente comme suit : « Sans préjudice des textes particuliers, sont inéligibles :
1. les personnes privées de leurs droits civils et politiques par décision judiciaire irrévocable;
2. les personnes condamnées par décision judicaire irrévocable pour crimes de guerre, crime de génocide et crimes contre l’humanité ;
3. les personnes condamnées par un jugement irrévocable du chef de viol, d’exploitation illégale des ressources naturelles, de corruption, de détournement des deniers publics, d’assassinat, des tortures, de banqueroute et les faillis ;
4. Etc.
Etant donné que Monsieur Jean Pierre Bemba a été acquitté des chefs de crime de guerre et crime contre l’humanité, cette opinion assoie sa thèse sur la condamnation relative à la subornation de témoin en assimilant cette dernière infraction à celle de la corruption telle qu’évoquée par la loi susmentionnée.
Cet état des choses convoque trois observations :
a) Une approche diachronique pour mieux cerner la marge de manœuvre et les motivations du législateur :
Lorsque le législateur élaborait la loi électorale en 2006 et modifiait et complétait en 2015 et récemment en 2017 ladite loi, l’infraction de subornation de témoin existait déjà dans l’arsenal juridique congolais.
En effet, l’article 70.4 a) du Statut de Rome, qui aborde les atteintes à l’administration de la justice dont fait partie la subornation de témoin, dispose in extenso ceci :
« Les États Parties étendent les dispositions de leur droit pénal qui répriment les atteintes à l’intégrité de leurs procédures d’enquête ou de leur système judiciaire aux atteintes à l’administration de la justice en vertu du présent article commises sur leur territoire, ou par l’un de leurs ressortissants ».
En d’autres termes, les atteintes à l’administration de la justice telles que prévues par le Statut de Rome doivent être consolidées par les dispositions internes y relatives. Elles doivent donc former un bloc cohérent.
De plus, l’article 215 de la Constitution de la RDC consacre l’intégration des traités et accords dans l’ordre juridique interne.
Dès lors, nul n’est besoin de rappeler que le Statut de Rome faisait partie de notre ordre juridique interne au moment où l’on élaborait la loi électorale.
Cette assertion est auréolée de la force de l’évidence dans la mesure où la ratification du Statut de Rome par la République Démocratique du Congo est nettement intervenue antérieurement à la promulgation de la loi électorale.
Par-delà cet argument, il est impératif de relever que le Code Pénal congolais, vieux de plusieurs décennies par rapport à la loi électorale, reprend formellement l’infraction de subornation de témoin en son article 129.
Fort de ce qui précède, l’on peut légitimement se demander pourquoi le législateur n’avait pas expressis verbis évoqué dans la loi électorale l’infraction de subornation de témoin alors qu’il en avait la pleine latitude. Il est incontestable qu’il n’en avait pas l’intention. Car il a énuméré de manière absolument limitative les infractions constituant des causes d’inéligibilité.
Les infractions de subornation de témoin (article 129 du Code Pénal congolais) et de corruption (article 147 du Code pénal congolais) coexistent en droit pénal congolais et chacune de manière autonome.
Deux infractions peuvent donc avoir le même fondement axiologique et demeurer parfaitement distinctes l’une de l’autre.
Ainsi, le viol, évoqué par ailleurs par la loi électorale, n’équivaut pas à l’attentat à la pudeur.
La théorie des équivalences est inopérante en droit pénal de fond.
Pourtant, dans le cas sous examen l’infraction de subornation de témoin et celle de corruption n’ont pas la même assise axiologique.
Il n’y a donc pas lieu de faire une analogie ou un rattachement entre la corruption et la subornation de témoin!
b) La notion d’interprétation en droit pénal :
La méthode d’interprétation en droit pénal est différente de celle des autres corps juridiques.
Si les autres disciplines juridiques admettent l’interprétation extensive et analogique, le droit pénal exclut catégoriquement ce type d’interprétation.
L’interprétation en droit pénal est stricte.
Au soutènement de ce qui précède, le Professeur Luzolo Bambi Lessa note avec pertinence que deux principes dominent la matière de l’interprétation des lois pénales :
- ubi lex non distinguit, non distinguere debemus : là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer.
- ubi lex voluit, dixit ; ubi lex noluit, tacuit : là où la loi veut, elle le dit. Là où elle ne veut pas quelque chose, elle se tait.
Toutefois, s’il existe une difficulté de compréhension du texte légal, c’est l’hypothèse la plus favorable à la personne incriminée qui doit être retenue en vertu du principe « in dubio melior interprétandum est ».
In casu specie, l’article 10 de la loi électorale doit être interprété de manière extrêmement rigoureuse.
L’infraction de corruption ne devrait pas être confondue à celle de subornation de témoin tant la philosophie du droit pénal, l’élément légal et l’élément matériel ne permettent nullement pareille assimilation ou analogie.
c) L’élément légal :
Le principe « nullum crimen, nulla poena sine lege » constitue la clé de voûte du droit pénal et aussi une garantie fondamentale dans la protection du citoyen contre l’arbitraire du juge.
Sa déclinaison nous conduit à préciser le contenu de la notion de l’élément légal.
L’élément légal ou la légalité des incriminations impose le fait que toute poursuite ou toute sanction soit fondé par une règle de droit pénal préexistante.
Ce principe de l’antériorité obligatoire des définitions des infractions est une garantie de la liberté et de la sécurité juridique…Le juge ne peut considérer comme infraction un fait que la loi ne définit pas comme tel, que soit par ailleurs son appréciation personnelle sur la valeur morale de l’acte.
Au demeurant, il sied de retenir qu’en l’espèce, conformément à ce principe la subornation de témoin ne peut nullement constituer une cause d’inéligibilité. Car elle a été écartée par le législateur lors de son énumération limitative des faits infractionnels constituant les causes d’inéligibilité à l’élection présidentielle.
Joël imbole
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