À peine avait-on fini d’inaugurer le nouveau Président de la République que les yeux commençaient à se précipiter vers une échéance relativement lointaine : 2023 ! 2023 pour récupérer la Présidence qui venait de leur glisser entre les mains lors d’une élection pourtant “gagnée” d’avance, 2023 pour sanctionner les coalisés de l’alternance, 2023 pour être réélu et conserver un pouvoir acquis à la suite de plusieurs années de luttes et de rendez-vous manqués.
De partout, les consciences ont eu tendance à se cristalliser très vite sur l’échéance ultime, et cette tendance est allée se renforçant. Alors que les politiciens de Lamuka et ceux d’une partie de la société civile peuvent revendiquer de vouloir courir plus vite que le temps, politique oblige, les détenteurs du pouvoir n’ont pas intérêt à suivre.
D’abord le FCC. Parce que la perte de la Présidence n’est pas le drame absolu. Ils s’en sont consolés d’ailleurs, annonçant à la ville et au monde que le pouvoir leur était encore assuré par le contrôle des grands rouages de l’action publique, dont le gouvernement, les assemblées législatives et les provinces, mais c’était sans compter les récents surgissements des risques d’un basculement cataclysmique pour eux. Toutes choses restant égales, le FCC qui reste en position relative de confort au niveau institutionnel, du moins numériquement, ne peut se payer le luxe d’imaginer que c’est en misant sur la présidentielle de 2023 que pourra se faire oublier sa participation active à la conduite de l’État, aujourd’hui.
Ensuite, et surtout, le Président de la République, qui est élu non pour se faire réélire, mais d’abord pour mettre en œuvre un programme et appliquer une politique. Au tiers du mandat, la priorité n’est pas de se projeter vers des futures élections, à la manière politicienne, avec le seul objectif de gagner, mais plutôt d’imprimer sa marque et d’asseoir un leadership de rupture et de proximité soutenue avec les attentes des populations.
Car pour ces populations, 2023 c’est très loin.
Pour ceux qui vivent là où le temps s’est arrêté, où les jours qui se suivent se ressemblent d’année en année, avec ou sans élections, 2023 c’est très loin.
2023 c’est très loin, pour les habitants de Beni et des environs qui ont depuis longtemps attendu, assez vainement, que la paix revienne et que la vie reprenne normalement dans leurs localités.
2023 c’est très loin, pour les jeunes sans-emplois, sortis des universités pour faire face aux monstres de la précarité et du dénuement, dans l’arène impitoyable du chacun pour soi.
2023 c’est très loin, pour les enseignants et les agents de l’État qui n’ont eu cesse d’être réduits à la portion congrue pendant qu’un groupe de cadors s’arroge des privilèges à coup d’exonérations et de multiples passe-droits.
2023 c’est très loin, pour les rues insalubres, les routes abîmées, l’environnement empesté.
2023 c’est très loin, pour les hôpitaux, les écoles, les systèmes de desserte en eau et en électricité, aussi insuffisants que défaillants.
2023 c’est beaucoup plus loin, pour toutes les causes qui souffriraient d’une inattention regrettable, conséquemment à la concentration des esprits des décideurs sur la prochaine bataille électorale, sur le dos du peuple.
La porte de l’histoire ne s’ouvre pas pour ceux qui n’ont de mérite que celui d’avoir remporté une élection, et de s’être agrippé au pouvoir y compris avec les dents. Cette porte ne s’est pas ouverte pour les personnages dont le passage au sein de l’État n’a eu pour objet que l’accès aux faveurs et la pérennisation d’un système personnel à faible voire à zéro impact sur le vécu du collectif. Dans la conscience collective, leur mémoire s’en va rapetissant comme peau de chagrin, dans l’impossibilité d’être un jour réhabilitée même par les plus grands hagiographes qui se peuvent trouver. C’est l’éternel piège qui tend à se refermer sur les élites au pouvoir au Congo, encapsulé dans un slogan : “on gagne ET on gagne”, sans plus, pour la gloriole et le bombement de torse.
L’obsession qui se constitue autour de 2023 pour les envieux du pouvoir présidentiel d’une part, et autour du deuxième mandat pour les membres du parti au pouvoir d’autre part, ne pourra que plomber les perspectives pour la suite et faire se concentrer tout l’effort sur l’après, alors que le présent nous rappelle le caractère plus qu’urgent des préoccupations cruciales des Congolaises et des Congolais.
L’on dira qu’il faut boucher les voies d’instrumentalisation de la CENI qu doit organiser les élections, et s’assurer du contrôle de la Cour Constitutionnelle pour que 2023 élimine tout ce qui reste de l’ancien système. Mais le premier des enjeux, qui est loin d’en exclure d’autres, est plutôt celui de gagner la confiance du peuple, en faisant beaucoup plus et beaucoup mieux que ce qui a été amorcé jusqu’ici, sans quoi le peuple amer en 2023 restera en majeure partie chez lui, et ne sortira que pour remettre à l’heure les pendules, au grand dam des horlogers du pouvoir qui auront échoué à faire fonctionner la machine.
Simeon Nkola Matamba
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