Le Président de la République Démocratique du Congo a publié en décembre 2018, la loi sur la santé publique. Une aubaine pour le Prof. Patrick Shamba, Président du Conseil d’Administration (PCA) de l’Alliance Congolaise pour le Contrôle de Tabac (ACCT) qui estime que c’est un progrès après un long moment de lutte à la suite de la ratification en 2005, à la Convention Cadre de Lutte Antitabac de l’OMS (CCLAT). Cette organisation de la société civile reste ouverte au nouveau gouvernement à venir pour la mise en place des mesures règlementaires, afin de mieux protéger la population contre les méfaits de la consommation de la fumée.
Ci-dessous l’intégralité de l’interview du Prof. Patrick Shamba :
Matininfos.net : La Loi sur la santé publique vient d’être promulguée en RDC. Que cela signifie pour l’ACCT que vous dirigez ?
Prof. Patrick Shamba : je suis le PCA de l’ACCT, réélu au cours de la dernière assemblée générale. Nous avons maintenant une autre équipe de coordination qui se met en place. Pour revenir à votre question, nous saluons le fait qu’en RDC, le Chef de l’Etat venait de promulguer en décembre 2018, la loi qui fixe les principes fondamentaux de la santé publique où on retrouve entre autres les mesures qui concernent la lutte antitabac. Nous sommes contents de cette avancée parce que c’est depuis 2004 que la RDC avait d’abord signé la Convention Cadre de Lutte Antitabac (CCLAT), pour la ratifier en 2005. Depuis tout ce temps, nous n’avons pas eu l’opportunité d’avoir une loi au niveau national qui reprend ces dispositions. Le processus a été long, mais cela n’a pas non plus été facile pour quelques raisons aussi simple : la RDC est un grand pays en Afrique, on dirait même un sous-continent, avec presque 90 millions de population, une superficie qui équivaut approximativement à celle de l’Europe. Vous savez que même au niveau de l’industrie du tabac, la RDC est une cible importante. Cela veut dire que la lutte avait été difficile et parfois, nous avons connu certaines personnes bien qu’ayant endossé les matières sur la santé publique qui se sont rebiffé en dernière minute pour combattre la partie sur le tabac. On dit que l’épidémie du tabagisme est dangereuse mais silencieuse alors qu’il y a une certaine méconnaissance de cette épidémie qui tue près de 7 millions de personnes par an.
Matininfos.net : que notez-vous par de la lutte antitabac dans cette loi promulguée?
Prof. Patrick Shamba : Nous saluons ce progrès. C’est un pas que nous venons de réaliser. Je me rappelle qu’en 2009, il y a eu une initiative d’avoir une Loi de lutte antitabac et qu’elle disparaissait dans le bureau du Ministère de la santé et me rends compte que le parcours a été long. C’est l’ACCT, grâce notamment au financement de « Compaign for Tobacco Free Kids (CTFK) » et la fondation Bill Gate, que nous avons pu porter ce problème de loi conforme à la CCLAT de l’OMS. Et nous avons mis en place ce qu’on appelle la tripartite (OMS, Ministère de la santé et la société civile) qui a fait en sorte qu’on identifie l’endosseur sur la partie de la lutte antitabac en 2013. Nous nous sommes battus pour avoir une loi spécifique, mais les experts de l’assemblée nationale nous ont démontré qu’il n’en était pas possible de par la constitution. A partir de 2015, nous avons pris l’option d’intégrer les matières de lutte antitabac au niveau de la loi cadre de santé publique. Donc, je me réjouis de cette avancée. Il reste cependant, quelques défis majeurs et je crois que ce n’est pas encore fini surtout au niveau de l’ACCT mais de toutes les sociétés civiles qui traitent de cette matière. Il reste à mettre en place des mesures règlementaires, pour lesquelles nous restons ouvert au nouveau gouvernement, pour travailler ensemble de manière à ce que non seulement certaines matières soient renforcées mais que les mesures règlementaires puissent être élaborées et soient conformes à la CCLAT.
Matininfos.net : La CTFK pour ne pas la citer, estime que cette loi est faible par rapport à la lutte antitabac. Qu’en dites-vous ?
Prof. Patrick Shamba : il y a quelques mesures importantes. Par exemple au départ, on avait commencé à vouloir avoir des avertissements graphiques sanitaires à 75 %. C’est vrai que dans cette loi nous sommes parvenus à un pourcentage de 50 %. Je sais que c’est un élément faible, mais c’est mieux que les 30 % du départ. En revenant sur les avertissements des graphiques sanitaires, si nous regardons d’où on vient et là où nous sommes arrivés, c’est une question de se demander si on a avancé ou on n’a pas avancé. Je crois que c’est la question de dire est-ce que le verre est à moitié vide ou à moitié plein ? Je sais voir les défis auxquels on a été confronté et le fait qu’on est avancé. On peut se réjouir même si nous n’avons pas atteint le niveau requis. Comparé à certains pays d’Afrique où ils ont un parlement qui n’est pas aussi important que la RDC, nous avons 500 députés et de cela, mobiliser tous ces députés n’est pas facile, surtout connaissant l’interférence de l’industrie du tabac qui a la facilité de contacter certains députés en vue de faire bouger leurs positions. Beaucoup de gens ne pensaient même pas que cette loi serait promulguée. Je tiens à préciser que si nous regardons l’article 110 telle qu’elle a été dans l’ébauche qui doit être publié dans le journal officiel, la place importante est accordée à la CCLAT de l’OMS. La loi reconnait donc cette primeur de la CCLAT et il est même dit que la mise en place des mesures règlementaires devrait se faire conformément à ladite convention. Si l’ACCT s’est engagé dans cette lutte c’est parce que les victimes de cette épidémie sont des congolaises et congolais. Nous ne sommes pas engagés par rapport à d’autres considérations si ce n’est d’être capable particulièrement de protéger les générations futures contre les méfaits de la consommation mais aussi de l’exposition de la fumée du tabac. Même si cette mesure reste faible, cela ne va pas nous affaiblir dans notre engagement de nous améliorer et de la rendre forte. Je peux vous rassurer que nous restons déterminé pour que cette loi soit forte. Nous n’allons pas baisser les bras. On ne peut pas rester défaitiste ou fataliste sur toute la ligne. Aussi longtemps qu’on a encore un peu de souffle de vie pour respirer, il y a encore un peu d’espoir. C’est le message que nous voulons faire masser : la lutte n’est pas finie et nous allons nous y engager pour aboutir aux résultats meilleurs.
Matininfos.net : Que doit faire l’ACCT pour que les mesures de règlementation de cette loi soit mises en œuvre aussi rapidement possible ?
Prof. Patrick Shamba : nous avons eu notre dernière tripartite au mois de décembre pour réfléchir sur ce qu’il faut faire pour en arriver à un plan qui est là. Le premier consiste à célébrer la loi avec ses forces et faiblesses. Il est prévu une manifestation pour faire voir les aspects liés à la lutte antitabac, notamment avec le Ministère de la santé mais aussi avec tous les acteurs dans la lutte. C’est à partir de là que nous allons montrer la nécessité d’aller sur l’élaboration des mesures règlementaires. N’oubliez que dans cette loi tout n’est pas que faible. Si aujourd’hui il est dit qu’on doit mettre en place des avertissements graphiques sanitaires illustrés, même si cela devrait couvrir 50 % des deux surfaces des paquets de cigarettes, c’est un progrès. Il est prévu dès la mise en place du nouveau gouvernement, que les contacts soient pris pour qu’avec le Ministère de la santé se reflètent les aspects de lutte antitabac ainsi que des moyens pour que les mesures règlementaires soient élaborées. A ce niveau nous restons très ouverts pour toute expertise, que ce soit au niveau de l’OMS, du secrétariat de la CCLAT ou des acteurs, pour arriver à mieux protéger notre population contre les méfaits de la consommation de la fumée.
Propos recueillis par AW
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